"Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière."

Michel Audiard

Science & Vie : 100 ans !

Écrit par Paul Renard. Publié dans Science

SV couv100ans

 

 

 

Le 1° avril 1913, Paul Dupuy publie le n° 1 de sa revue La Science et la Vie. 100 ans plus tard, la revue fête son centenaire avec un numéro exceptionnel qui revient bien sûr sur 100 années d'évolutions scientifiques, mais qui propose également une projection sur les 100 ans à venir. Comme l'indique la couverture, "le meilleur est à venir". Une hypothèse optimiste que contredit, hélas, le dossier, par ailleurs très bien réalisé. Car, à lire ce serait plutôt "le pire est à venir" !

 

Océans : montée du niveau des mers, augmentation de l'acidité, fonte des glaciers et du pergélisol, régime des précipitations déséquilibré, augmentation des jours de canicule, doublement du nombre des ouragans de catégorie 4 à 5 (vents supérieurs à 210 km/h), risques d'incendies, concentration d'ozone, explosion démographique (10 à 15 milliards d'êtres humains en 2100), doublement de la consommation d'eau, fin du pétrole, des minerais (plus d'uranium vers 2050, seul l'aluminium sera encore disponible en 2100), alors que les besoins énergétiques vont doubler, des milliers d'espèces vouées à la disparition, rétrécissement des organismes, augmentation des calories dans les régimes alimentaires (2772 aujourd'hui, 3070 en 2050), principalement d'origine animale, boom des transports aériens, augmentation des croyances religieuses(!), urbanisation à outrance. Bref : le monde d'aujourd'hui transposé dans le délire illusoire de la croissance économique à l'infini.

Mais le meilleur est à venir, parait-il : pour l'énergie, nous aurons la fusion nucléaire, grâce à Iter, ce projet pharaonique à 19 milliards d'euros qui ne produira jamais le moindre watt, pas plus que Demo, sa suite logique si Iter Organization parvient à éradiquer l'instabilité du plasma, et que le tout ne pète pas à la gueule de ceux qui y croient encore (voir ce qu'en pense le spécialiste des plasmes, Jean-Pierre Petit), mais aussi des centrales solaires dans le désert (au cas où Science & Vie ne le saurait pas, le projet Desertec, pourtant génial, a été abandonné…), des avions qui vont relier Paris à Tokyo en trois heures (avec quel kérosène ?), ou encore un tunnel sous le détroit de Bering, reliant Amérique et Russie. Ah ! Il y a aussi les fermes agricoles verticales au cœur des villes (faut bien nourrir toutes ces bouches), ou aussi des mines d'exploitation des minéraux sur les astéroïdes… Ce n'est pas de la Science Fiction, c'est effectivement ce qui nous attend… si nous sommes encore là en 2100 !... Il est vrai d'ailleurs que la revue ne manque pas de s'interroger sur les difficultés qui surviendront lorsque l'humain mettra en oeuvre tous ces projets, ainsi que sur les grands débats qui animeront les décennies à venir.

Science & Vie reste malgré tout ancré dans le dogme optimiste qui fait de la science la clé, la solution, à tous nos problèmes. Un dogme qui date du XIX° siècle, lorsque l'on croyait naïvement que l'ingéniosité humaine allait résoudre tous les problèmes présents ou futurs. Un dossier qui ne tient absolument pas compte des ravages provoqués par la surconsommation de marchandises inutiles, la pollution engendrée depuis des décennies par l'industrialisation sauvage, la soif de profit à court terme, l'émergence ou la ré émergence de maladies inconnues ou que l'on croyait éradiquées (toujours "grâce" à notre insupportable suffisance face aux phénomènes naturels), la diminution drastique des territoires due à la montée des eaux, les réfugiés climatiques qui émigreront par millions vers des terres plus hospitalières, etc., etc.

Alors, faut-il se réjouir ? Ou au contraire se poser enfin les vraies questions ? Notamment celle de l'illusion de la croissance économique, fondée sur la soi-disant infinité des ressources. Ne serait-il pas plutôt temps de prendre conscience que nous ne sommes que locataires sur cette planète ? Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de revenir au "moyen âge" (d'ailleurs nous y sommes déjà, les anciens aristocrates ayant été remplacés par les barons de la finance et de la mondialisation), mais de refonder un système viable où l'Homme serait en harmonie avec son environnement. Si le monde entier vivait comme nous, les Français, il faudrait 4 à 6 planètes, comme les Américains, il en faudrait plus de 10. Depuis 1987, l'humanité produit plus de déchets en un an que la biosphère ne peut en absorber. En 2010, la date fatidique était le 21 août, en 2009, c'était vers la fin septembre. À ce rythme, en 2019, nous serons en dépôt de bilan : au 1° janvier, nous aurons déjà produit tout ce que notre biosphère peut supporter. Et je ne parle pas des déchets les moins "dégradables", nucléaires notamment. Tiens, savez-vous que le plutonium, qui a une demi-vie de 24 000 ans, et qui avait donc disparu de la surface de la planète voici 4 milliards d'années a été "recréé" par nous ? Un atome de plutonium, et c'est la mort assurée… Mais bien sûr, il faut du courant, de plus en plus, alors… Et puis, c'est tellement rentable (les usines de La Hague en détiennent actuellement plus de 60 tonnes dans leur piscines). Eh bien, continuons donc. Moi je ne serai sans doute plus là pour voir le désastre, et c'est tant mieux (pour moi). Mais que fait-on des générations à venir ?

Les solutions existent pourtant. Elles sont à la portée de tout un chacun, à condition d'abandonner les dogmes qui dirigent nos sociétés dites "évoluées" :

- Cesser de se multiplier ("croissez et multipliez"). Jusqu'à présent, la force d'un pays, c'est sa population. Il faut donc que les mères soient le plus fertiles possibles. 2, 3, 4, 5 gosses et plus. Chez les mormons, on voit des pères de famille fiers d'avoir 24 enfants (selon un reportage de Canal +) ! Le calcul est simple : si nous voulons conserver le même niveau de confort que nous, les Français, par exemple, il faudrait donc ne pas dépasser le milliard et demi d'habitants. Ou se résigner à diminuer drastiquement notre mode de vie. Plutôt que la quantité, privilégier donc la qualité.

- Cesser de croire que l'abondance de biens conduit forcément au bonheur (idée fondatrice du communisme et du capitalisme). Si cela était vrai, ça se saurait ! Aujourd'hui, la foutue croissance économique conduit à produire de plus en plus pour de plus en plus de consommateurs, idée relayée par les communicants chargés de créer des besoins parfaitement inutiles. Un exemple ? Les céréales du petit déjeuner, inventées par le célèbre docteur Kellog (adventiste du 7° jour et membre d'une fratrie de 16 enfants...); et qui font le bonheur des groupes industriels agro alimentaires. Les céréales, on les trouve tout simplement dans le bon vieux pain, qui coûte 5 fois moins cher !

- Consommer des produits de proximité et de saison. Eviter ainsi les transports coûteux et polluants. On estime qu'il faut environ 190 m² de terrain pour nourrir une famille de 4 personnes.

- En relation avec ci-dessus, revoir complètement les politiques de transport. Malgré les accords de Kyoto, l'humanité émet toujours plus de CO² dans l'atmosphère. L'économie des pays est hélas aujourd'hui largement dépendante des transports, et bien souvent la croissance est liée à l'industrie automobile. Hérésie sans nom, puisque sans jeu de mots, il s'agit carrément "d'auto suicide". Il faut donc imaginer un habitat proche des lieux de travail, réduire le nombre de voitures, de camions, privilégier les transports collectifs, cesser de prendre l'avion pour un oui ou pour un non. Nous vivons dans un monde où le dogme de la vitesse et de la rapidité nous conduit immanquablement à augmenter les moyens de transport rapides. Or, curieusement, plus on libère de temps, moins il semble qu'on en ait !

- Interdire dès maintenant la spéculation sur les denrées alimentaires. Elle génère pauvreté, misère, malnutrition et désastres écologiques (la déforestation sauvage destinée à libérer des terres agricoles pour... fabriquer de l'éthanol en est un exemple lamentable).

- En bref, que la politique (au sens noble du terme) reprenne la main sur la finance et le profit à court terme.

Alors, bien sûr, vous allez me dire : tout ça c'est bien beau, mais c'est carrément utopique. Eh bien non, pas plus que l'utopie qui consiste à croire que la croissance pourra perdurer indéfiniment, car c'est là que réside la véritable utopie.

Allez, j'ai bien plombé l'atmosphère, et quand je vois un nouveau-né, je n'ai qu'une envie, celle de lui dire "bon courage !".