Knowledge is a deadly friend when no one sets the rules. The fate of all mankind I see is in the hands of fools. King Crimson - Epitaph (1969)

Bienvenue à Gattacons

Écrit par Paul Renard. Publié dans Humeurs du moment

Tout d'abord, je tiens ici à "remercier" les imbéciles (quoiqu'en ce qui concerne les intégristes religieux de tout poil, je dispose d'une palette de termes nettement plus fleuris) qui ont perpétré les attentats de janvier : cela faisait des années que je n'avais pas lu Charlie Hebdo et, depuis, je n'ai manqué aucun numéro ! Dans le dernier numéro, j'ai trouvé un article signé Gérard Biard, titré "Bienvenue à Gattacons", que je me permets de reproduire in extenso en espérant que cela vous donnera envie, vous aussi, d'acheter régulièrement ce journal ! "Le vendredi 24 avril 2015, l'Homme nouveau est entré dans l'histoire, à petites foulées minutieusement comptées, le coeur réglé sur 65 pulsations par minute. Impossible de le rater, il portait une Apple Watch fuchsia au poignet. Grâce à cette version commerciale et glamour du bracelet électronique pénitentiaire, l'Homme nouveau est enfin affranchi de l'esclavage du libre arbitre et de la gestion de son temps. Il sait - ou plutôt on lui dit - qu'il doit ingérer 2522 calories par jour, boire un litre et demi d'eau ou de liquide non calorique et non alcoolisé, parcourir1728 pas et gravir 143 marches, dormir 7 heures 51 minutes, se brosser les dents 2 minutes et demie sans discontinuer en effectuant des cercles, et, si possible, copuler 13 minutes 26 secondes, de préférence en adoptant la position dite "en levrette" afin de préserver ses lombaires et avec un/une partenaire également Apple-connecté(e), seule garantie qu'il/elle ne cachera pas une vilaine MST. Nous n'en sommes pas tout à fait au stade où, s'il ne respecte pas ce programme personnalisé, il recevra quelques décharges électrique de rappel, en même temps qu'un SMS de sa mutuelle santé l'informant que sa prime annuelle vient d'être augmentée de 20 %, mais patience...

 

Science-fiction délirante ? Peut-être. Ne perdons toutefois pas de vue que les souriants et juvéniles multimilliardaires à la tête des géants des "nouvelles technologies" ne sont pas des bienfaiteurs de l'humanité. Ce sont en grande majorité des ultralibéraux féroces, avec un sens de la responsabilité d'adolescents prépubères, qui confondent à dessein avancée technologique et progrès humain et social. Faisons en outre confiance à la puissance de fascination du miroir aux alouettes virtuelles high-tech pour nous faire basculer de bon gré dans un monde toujours plus "connecté", où nous perdons tout contrôle de nos vies tout en étant persuadés d'en maîtrise le moindre détail, les yeux et la conscience fixés sur le mirage de la fin de l'aléatoire. Et, tant qu'on y est, de l'immortalité. Il se pourrait bien que nous soyons en train de vivre le prologue de "Bienvenue à Gattaca", le film futuriste d'Andrew Niccol qui décrit une société où la possibilité de fabriquer des enfants en sélectionnant leur génotype entraîne l'exclusion de facto des citoyens qui se sont pas nés a moyen de cette méthode de reproduction censée fabriquer des bipèdes "sains' et sans défauts physiques. Le bracelet connecté est un premier pas vers cet "homme augmenté" fantasmé par les transhumanistes. Mais, de même que ce qu'on appelle la "réalité augmentée" est une illusion de réalité, de même "l'homme augmenté" est une illusion d'humain.

Bien sûr, diront certains, la science médicale et avec elle la santé humaine ne peuvent que tirer avantage de ces prodiges technologiques. C'est vrai. A condition de ne famais oublier que la technologie en soi n'est pas synonyme de progrès. C'est l'usage qu'on en fait qui engendre, éventuellement, le progrès. A condition aussi de garder à l'esprit que la médecine et la technologie sont philosophiquement opposées. La première se fonde sur des interrogations et cherche d'abord à réparer, la seconde n'a que des solutions à offrir et remplace d'autorité - c'est flagrant aujourd'hui. Chaque fois que l'on s'abandonne à la seule technologie, on perd un peu plus de soi. Physiquement, mais aussi socialement et intellectuellement.

Smartphones, tablettes, bracelets et objets connectés qui monopolsent toute notre attention et tout notre temps, nous transforment non seulement en produits de consommation immédiats, mais également, à plus long terme, en singes de laboratoire. La seule élévation que nous propose le géant new-tech GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), c'est de nous faire remonter dans l'arbre duquel nous étions descendus il y a quelques millions d'années."