Knowledge is a deadly friend when no one sets the rules. The fate of all mankind I see is in the hands of fools. King Crimson - Epitaph (1969)

Votez Décroissance !

Écrit par Paul Renard. Publié dans Humeurs du moment

clement-wittmann-joe-labat-michel-simonin-et-anne-charlotte-mancini-photo-d-moustyQui est Clément Brittmann ? Personne ne le connaît, et pourtant il est candidat à l'élection présidentielle ! Même en cherchant sur Internet, aucun résultat ! 52 ans, charpentier, il fait campagne à vélo et n'a réuni pour l'instant que 150 signatures. Forcément, il prône l'hérésie suprême : la décroissance.

Sur la photo de droite à gauche : Clément Brittmann, Joe Labat, Michel Simonin et Anne-Charlotte Mancini (photo : D. Mousty)

La croissance

Debat-democratiqueDans cette campagne présidentielle, tous les candidats semblent avoir un mot d'ordre, quel que soit leur programme : le retour à la croissance économique. Certains prônent l'austérité, la réduction des charges pour élever la compétitivité, la casse des services publics, d'autres misent sur la consommation, l'augmentation du pouvoir d'achat, et les pires de tous, "nationalistes et socialistes" (je vous laisse faire le lien…) prétendent que tous nos problèmes viennent des "autres" (les étrangers, l'Europe, etc.). Mais leur point commun, c'est bien évidemment la croissance économique. Dans ce cadre, notre pays doit reconquérir les marchés, produire plus, vendre plus, être commercialement plus agressif, tout cela bien entendu pour revenir au "bonheur" du plein emploi. En bref, recommencer ce que l'on fait depuis plus d'un siècle, c'est-à-dire puiser les matières premières dans les réserves naturelles et gagner plus que les autres.

Seulement voilà, si au début de l'ère industrielle, quelques nations (Angleterre, France, Allemagne, Espagne, Portugal, etc.) pouvaient impunément s'accaparer toutes les richesses de la planète au détriment des autres, il n'en va plus de même aujourd'hui : chacun rêve du niveau de vie des autres. Donc, et c'est d'une logique implacable, il est impossible que tout le monde parvienne au même niveau, puisque chacun voudra toujours être au dessus !

AvenirOn voit déjà de nos jours les dégâts que crée ce système : famines, exclusion, destruction des environnements, épuisement programmé des richesses naturelles, avec toutes les conséquences que cela entraîne maintenant – réchauffement climatique, désertification, etc. – et dans le futur. Les scientifiques les plus optimistes estiment le réchauffement produit par les activités humaines à 2, voire 3° C, pour le siècle en cours, à condition de réduire drastiquement dès maintenant les émissions de CO2, chose qu'on est loin de faire. Cette augmentation va, au mieux, amplifier tous les phénomènes météo : un coup de vent sera une tempête, un hiver froid deviendra un hiver polaire, un été chaud une période caniculaire, une perturbation pluvieuse une pluie diluvienne, sans compter l'élévation du niveau des mers de plusieurs mètres qui provoquera en outre des déplacements massifs de population apatrides.

 

 

 

Pour ceux qui auraient encore des doutes, voici la carte de la France si toutes les glaces des pôles nord et sud venaient à fondre et provoquaient une montée des eaux de 60 mètres : (source Science et Vie 07/2008).

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C'est bien sûr une estimation, mais n'en déplaise à certains pseudos scientifiques, tels Claude Allègre, le réchauffement dû à l'activité humaine est une réalité. Dans les années 90, on estimait qu'on pourrait supporter 2° de plus (par rapport à l'avant ère industrielle, sachant qu'on était déjà à 0,7 ° de plus). Aujourd'hui, ce chiffre a été revu à la baisse : on sait que limiter le réchauffement à 2° ne suffira pas. Or, selon les 13 modèles retenus par le GIEC (Groupe Intergouvernemental d'Études sur le Climat), sachant que pour stabiliser le réchauffement à 2°, il ne faudrait pas dépasser une concentration de 450 ppm de CO2 en 2100, seule une solution intermédiaire (550 ppm et + 2,8 à 3,2° C) a de petites chances de réussir, face à l'appétit de la sacro-sainte croissance économique. Ces chiffres impliquent une élévation du niveau des mers de 3 mètres et donc d'importantes zones économiques et d'habitat devront être abandonnées (sans compter le devenir de nos centrales nucléaires situées au niveau 0 actuel – ah mais c'est vrai : le savant Allègre a dit qu'on ne risquait rien –, le coût social sera évidemment astronomique et absorbera une part phénoménale des revenus des États (multiplication des réfugiés, pertes agricoles et menaces sur l'équilibre alimentaire). Les "bienfaits" de la croissance seront anéantis !

techutopQuant à l'aspect purement économique des choses, on le voit, le système mondial, sur lequel on a déjà posé un grand nombre de rustines pour éviter son explosion, va devenir de plus en plus instable et surtout injuste. Je vais le démontrer à l'aide d'un exemple simple : lorsque le rendement de l'argent est supérieur au taux de croissance, cela se fait uniquement au détriment de l'immense majorité. Lorsqu'un placement, basé sur un fond de pension, rapporte 10 ou 15 % l'an, cela veut dire que les actions constituant ce placement doivent rapporter obligatoirement ce pourcentage. Derrière les actions, il y a des entreprises, que l'on force donc à produire un bénéfice en augmentation d'autant chaque année. Cela ne peut se faire qu'en réduisant les coûts. Vous l'avez compris : ce sont des placements qui génèrent les fermetures abusives d'entreprises ou leur délocalisation dans des pays où l'on peut encore exploiter sans vergogne les travailleurs. En créant cette richesse artificielle, on crée donc de la pauvreté, et le "bon père de famille" qui pense avoir fait un bon placement ne comprend pas pourquoi ses enfants ne trouvent pas de boulot ou sont licenciés.

 

Et puis, il faut comprendre que la croissance, même sous sa forme "développement durable", est une utopie, car les ressources de notre généreuse planète sont limitées. Or, depuis 1987, nous y vivons à crédit : c'est cette année-là que, pour la première fois, l'humanité a consommé plus que ce que la biosphère de la planète est capable de produire en un an (et aussi d'absorber nos excès). Et la tendance ne fait que s'amplifier : en 2010, c'était le 21 août. En 2009, le 25 septembre. Si l'on calcule bien, à raison d'un mois en moins par an, en 2017, en janvier, nous aurons déjà épuisé toutes les ressources de l'année ! En clair : l'humanité sera en situation de cessation de paiement. Même si le développement "durable" permettra – peut-être – de retarder l'échéance de quelques années, le résultat sera identique au final.

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Le développement durable signifie en clair : "polluer moins pour polluer plus longtemps". Voire même continuer à polluer autant en se donnant bonne conscience ! Deux exemples simples, issus de cette pantalonnade appelée "Grenelle de l'environnement" :

- Mettre à la casse des milliers de voitures pour en acheter d'autres. Nos "vieilles" voitures émettaient peut-être 500 g de CO2/km, mais il faut comprendre qu'elles étaient infiniment moins nombreuses : leur nombre a été multiplié par dix ou quinze durant les dernières décennies. Le calcul est donc simple. Là où 100 voitures produisaient 50 tonnes au kilomètre, nous avons aujourd'hui (à raison d'une centaine de grammes par kilomètre et par voiture) 100 tonnes !

- Remplacer les lampes à incandescence par des ampoules faible consommation. Les anciennes chauffaient énormément, il est vrai, mais ne nécessitaient aucun recyclage particulier. Les nouvelles, dont l'éclairage n'est d'ailleurs pas génial, contiennent des métaux lourds (mercure entre autres) et autres composants, nécessitant un recyclage coûteux et énergétivore. Où est le gain puisque ce qu'on ne dépense pas d'un côté est perdu de l'autre ? En plus on peut se poser la question de leur fameuse durée de vie : pourquoi, alors qu'on nous dit qu'elles durent 10 fois plus longtemps, voit-on les bacs de récupération dans les grandes surfaces remplis en permanence, seulement deux ans après leur apparition ?

journal35Enfin, force est de constater que la croissance économique est loin d'avoir tenu sa promesse : le bonheur pour tous. Notre niveau de vie est 20 fois supérieur à celui de nos grands parents, mais en fait, sommes nous pour autant plus heureux ? Nos sociétés "développées" accumulent des records de suicides, de dépressions, de stress. Les téléviseurs à écran plat, les téléphones portables qu'on change tous les 6 mois et la voiture ne tiendraient-elles pas leurs promesses ?

Alors, la décroissance est-elle la solution ? Dès qu'on évoque le sujet, c'est un tollé général, à droite comme à gauche. On évoque le retour à la préhistoire, au mieux au Moyen-Âge, on imagine les humains errants, redevenus "chasseurs cueilleurs", et l'on conforte ainsi les populations dans leur désir d'acheter tout et n'importe quoi. Et surtout de voter pour ceux qui soutiennent encore ce système exsangue.

 

 

Alors, c'est quoi, la décroissance ?

En aucun cas le retour au Moyen Âge ! En premier lieu, c'est l'abandon des notions de profit et de compétitivité dans l'industrie. Ensuite, c'est produire de biens de consommation durables, revenir à une agriculture de proximité au lieu d'importer des produits exotiques ou hors saison (fraises espagnoles poussées en serre, bourrées de pesticides, et produites par des ouvriers marocains sous-payés par exemple), reconsidérer le travail comme une richesse humaine et non plus comme source de bénéfices pour une minorité, et partager mondialement les cadeaux que nous offre notre belle planète. Il suffit de 190 m² pour nourrir durablement une famille de 4 personnes ; cela demande un peu de travail (biner, planter, etc.) : est-ce trop demander à une population certes habituée à la malbouffe des produits industriels ?

Je me souviens d'un documentaire sur France 2 (si j'ai bonne mémoire) où l'on montrait une famille de "décroissants" : les parents n'achetaient pas de jouets en plastique, cultivaient leur jardin, etc. Tous les commentaires étaient dirigés dans le sens de parents indignes, forçant leurs enfants à faire du jardinage et les privant de jouets. Consternant. C'est tous juste si on ne voyait pas la DAS venir chercher les gosses à la fin du reportage !

La décroissance, c'est non pas revenir en arrière, mais plutôt reconsidérer les errements de notre mode de vie. Pourquoi un téléphone ne durerait-t-il pas plus que 6 mois ? Pourquoi changer de téléviseur alors que l'ancien fonctionne parfaitement ? Pourquoi changer de voiture alors que celle qu'on possède n'a que 50 000 kms au compteur ? Pourquoi remplacer des ampoules qui ne génèrent aucune pollution par des modèles bourrées de métaux lourds, de composants toxiques, qu'il est nécessaire de recycler, au prix exorbitant d'une dépense d'énergie et de pollution supplémentaire ?

La décroissance, c'est l'arrêt de la surconsommation, orchestrée par les industriels et les communicants, tout simplement !

homonuclearisLa décroissance, c'est aussi l'arrêt immédiat du nucléaire, cette énergie certes peu productrice de CO2 mais éminemment dangereuse et générant des déchets que nous sommes incapables de recycler. Au point que les piscines de la Hague contiennent près de 60 tonnes de plutonium (la pire saloperie nucléaire qu'on puisse imaginer) et qu'on va utiliser dans ces EPR que la France vend partout ! La Chine construit actuellement 28 unités et a 51 projets sur les rails. Pareil en Inde, où les protestations des habitants contre l'implantation d'EPRs dans une zone sismique, à Jaitapur, ont été réprimées dans le sang. Il existe pourtant des solutions simples, telles les centrales solaires thermiques à concentration

Est-ce trop demander qu'espérer que l'humanité saura enfin grandir pour sortir de l'utopie infernale de la compétitivité et de la conquête ? Notre gros problème, c'est notre évolution rapide : nous sommes passés du stade de "chasseur-cueilleur" nomade à celui d'agriculteur sédentaire, puis de citadin en l'espace de seulement quelques 10 000 ans. Nous avons modifié radicalement notre mode de vie, mais est-ce que nous avons réellement su évoluer pour nous adapter à ces changements radicaux ? Il semble bien que non : au fond de nous-mêmes, nous conservons ces instincts tribaux qui garantissaient la survie des communautés préhistoriques face à un monde hostile, qu'il était nécessaire de combattre en permanence pour survivre. Et aujourd'hui, nous ne sommes pas en état de comprendre ce qui se passe, n'y même d'y faire face. Abandonner les dogmes dictés par l'ère industrielle nous semble être une utopie, alors que c'est pourtant la seule solution qui nous reste si nous voulons survivre et laisser aux générations futures un monde vivable. Car, à l'instar des nuages de sauterelles qui dévastent tout sur leur passage et disparaissent brusquement, faute de nourriture suffisante, nous risquons bien de subir le même sort dans les décennies à venir, après avoir épuisé toutes les réserves de la planète et provoqué une catastrophe écologique mondiale. N'oublions pas que la Terre est la seule planète habitable que nous connaissons, et à laquelle nous avons accès. Tout le reste n'est qu'utopie, rêve ou chimère. La décroissance est la seule voie qui s'ouvre à nous si nous désirons survivre. Malheureusement pour Clément Brittmann, il est peu probable qu'il obtienne ses 500 signatures : les Elus de tous bords, y compris Ecolos, n'oseront jamais soutenir un candidat prônant une telle hérésie.

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